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« La polarisation devient un problème, lorsqu’elle met en jeu des identités plutôt que des idées, reprend Camille Bedock. Les autres ne sont plus considérés comme des adversaires mais comme des ennemis, moralement inférieurs. L’agrégation des intérêts, qui est l’objet de la politique même quand les positions de départ sont dissemblables, ne peut plus se faire. »
« la France est certainement moins à l’abri » que beaucoup de ses voisins face au risque d’un emballement de la polarisation politique. Les risques en sont une dégradation du débat public, une augmentation de la violence en discours et en actes, et la possibilité de voir gagner des dirigeants extrémistes n’ayant été incités à la modération par aucun garde-fou dans leur camp ou dans les institutions.
« La polarisation politique est une tendance globale majeure aujourd’hui », écrivent-ils en précisant qu’elle a « atteint des niveaux sans précédents en 2021 ».
En tant que telle, la polarisation peut très bien indiquer l’existence d’une compétition politique vive, avec des alternatives tranchées offertes au corps électoral, ce qui n’a rien de problématique. Ce que pointent les auteurs, c’est plus précisément l’emballement de cette polarisation à des « niveaux toxiques », lorsque la société se retrouve fracturée en groupes à l’identité exclusive, méfiante, voire haineux entre eux.
En effet, de tels niveaux favorisent l’arrivée au pouvoir de forces anti-pluralistes, qui elle-même exacerbe encore les tensions.
Un constat identique est établi à propos d’un troisième élément qui se développe de manière frappante avec la vague d’autocratisation contemporaine, à savoir la désinformation volontaire par les gouvernants. L’exemple russe est emblématique d’un usage stratégique de données manipulées et erronées, sur le plan domestique comme sur le plan international.
Or « la connaissance politique des citoyens est fondatrice pour une démocratie représentative », notent les auteurs et les autrices du rapport. La désinformation met en danger ce type de régime « en distordant les opinions des gens, en démolissant la reddition de comptes [par les gouvernants] et en favorisant la polarisation ».
Bon nombre d’exemples historiques, remarque Jan-Werner Müller, attestent que « ce ne sont pas les gens ordinaires qui décident de se débarrasser de la démocratie, mais les élites ». Il ne nie certes pas que les dirigeants autoritaires soient capables de se constituer une base sociale, d’abord à force de polarisation, à travers les « guerres culturelles », puis à coups de détournement des institutions de l’État, de « clientélisme de masse » et de désinformation. Mais si cette stratégie fonctionne, c’est qu’elle est le résultat d’une fragilité initiale, à savoir celle de « l’infrastructure critique de la démocratie ».
Selon lui, la solidité de cette infrastructure repose essentiellement sur la bonne santé des partis et des médias.